Décidément les vérités de la Lys ne sont pas celles de la Somme. En choisissant respectivement pour capitale régionale Amiens et Lille, les deux CESER de Picardie et du Nord- Pas de Calais ont montré, s'ils sont sincères, qu'ils font de ce qui est en train de se passer l'un et l'autre une lecture radicalement différente qui augure mal d'un projet commun, et s'il s'agit simplement d'une posture provisoire, qu'ils font preuve d'un souverain mépris pour le citoyen, qu'il soit picard ou nordiste.
En réalité la question de la capitale ne peut être vue en dehors de celle du projet et des politiques à conduire, face à la métropole lilloise notamment et sans que soit posée la question de l'Etat en tant que gardien des équilibres. Or de ce point de vue la réforme avance masquée et le silence des deux conseils régionaux est parfaitement assourdissant, alors même que les élections régionales à venir ajoutent encore de l'incertitude à l'incertitude.
Où est la démocratie dans tout cela? Nulle part.
La déclaration de la FSU au CESER de Picardie est ici :
Mesdames et messieurs, chers collègues.
J'ai lu comme chacun d'entre vous le projet d'avis et j'ai écouté les différents intervenants exprimer leurs craintes, que je partage pour l'essentiel, même si je n'en tire pas exactement les mêmes conclusions.
Néanmoins au regard de tout cela, je ne peux m'empêcher de penser à une phrase de Bossuet, qui disait, je cite de mémoire, mais le sens y est : "Dieu se moque des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes". Il me semble clair qu'en affirmant cela Bossuet pensait expressément à notre CESER.
Car notre volte-face de l'an dernier fut une faute. Alors que nous avions encore notre badge "Touche pas à ma Picardie" dans notre poche, le CESER a viré de bord, rejoignant -avec enthousiasme, paraît-il- le camp des fusionneurs, alors que la loi n'était pas encore votée et que nous connaissions tous les disproportions et les déséquilibres entre les deux régions fusionnantes. Et tout cela, parce que Manuel Valls venait d'être nommé premier ministre. Pour une assemblée qui ne fait pas de politique, chapeau !
Je rappelle l'attitude autrement cohérente de la FSU, opposée à toute nouvelle étape de décentralisation sans débat sur les étapes antérieures, favorable au maintien des deux régions et favorable aussi au maintien des deux rectorats.
J'en arrive maintenant au projet d'avis qui nous annonce -c'est de bonne guerre- les pires maux si Amiens n'est pas la future capitale régionale.
Je répondrai par une remarque de bon sens : Amiens a été capitale et le reste d'ailleurs pour quelques jours.
Cela n'a pas empêché la Thiérache de rester enclavée. Cela n'a pas empêché l'illettrisme de s'accentuer au sein des jeunes générations. Cela n'a pas empêché non plus les indicateurs sanitaires d'être ce qu'ils sont et vous en savez autant que moi sur la question.
Cela n'a pas davantage empêché la Picardie de connaître quinze années de décrochage par rapport aux régions voisines pour ce qui concerne la croissance, qu'on la mesure avec le PIB ou, en élargissant la perspective, avec un indicateur synthétique comme par exemple l'ISS, l'indicateur de santé sociale, dont j'ai déjà parlé l'une ou l'autre fois ici.
Et Amiens-capitale n'a pas empêché non plus, et je m'en serai voulu de l'oublier car c'est la cerise sur le gâteau, une détérioration progressive du lien social, une montée de la désespérance et des anticipations négatives, à tel point qu'un parti politique que je ne citerai pas, se retrouve aux portes du pouvoir, non seulement dans la petite Picardie, mais aussi dans la future grande région.
Chers collègues, que voulez-vous qu'il nous arrive de plus ? Et peut-on sérieusement envisager dans ces conditions de poursuivre "les dynamiques engagées" ?
Face aux perspectives qu"ouvre la nouvelle région, la Picardie doit d'abord s'interroger sur son modèle de développement, sur l'inexistence d'un vrai projet collectif, sur une conduite politique qui a toujours manqué de souffle et qui n'est parvenue à dépasser le cadre étroit de la gestion au jour le jour qu"en de rares occasions.
Car en réalité Amiens n'a jamais été une vraie capitale, n'a jamais eu les moyens de l'être, et la meilleure preuve en est que nous avons adopté ce concept boiteux de "capitale en réseau" qui a provoqué l'impuissance partout où il a sévi.
Tout cela montre au moins une chose : le lieu d'implantation de la capitale régionale s'apprécie au regard de la politique que l'on entend mettre en oeuvre. La proximité -beaucoup citée aujourd'hui- n'a de sens que si l'on a l'intention de donner la parole aux administrés, de les entendre et de tenir compte de ce qu'ils disent. La proximité n'est pas un concept géographique mais politique.
Chers collègues, je le dis sans aucune hésitation, si notre projet d'avis montrait que le choix d'Amiens comme capitale régionale constitue un atout supplémentaire pour rompre avec le carcan financier qui nous étrangle ou pour en finir avec la disette monétaire que nous impose la Banque Centrale de Francfort, s'il montrait qu'il s'agit d'un atout de plus pour lutter contre la montée des inégalités qui fait que les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres, s'il montrait que le choix d'Amiens est un outil pour mettre un terme aux politiques de "maîtrise de la dépense publique" (je mets des guillemets car c'est un doux euphémisme), alors je le soutiendrais avec enthousiasme..
Hélas; de ce point de vue, le projet d'avis, qui devrait tout de même quelque peu traduire les attentes de la société civile, reste étonnament muet, comme déconnecté de la réalité. On nous propose certes un projet régional fort, mais dont on se garde bien de préciser les contours. On nous parle aussi d'un aménagement respectueux des équilibres.... qui sera bien difficile à concilier avec l'attractivité et la compétition entre régions dont le CESER se faisait hier le champion et dont il découvre aujourd'hui, aux dépens de la Picardie, tous les méfaits.
Comme disait Gide, "le présent serait plein de tous les avenirs possibles, si le passé n'y projetait déjà une histoire". Eh bien, messieurs les rapporteurs, cette histoire est contre vous.
Vous allez sans doute me parler du 22 juin et du premier juillet.... on va voir ce qu'on va voir... ce sera un projet époustoufflant... J'espère simplement que cela ne sera^pas uniquement une opération de communication de plus.
Comme on ne perçoit rien du côté du futur, comme nous ne pouvons éclairer notre choix par le projet à venir, il faut revenir au présent et le présent c'est la loi.
Celle-ci a beaucoup erré. Disparition et réapparition des départements. Fin puis maintien puis suppression de la clause de compétence générale. Mais il y a un point qui n'a jamais varié : le renforcement de la métropole, qui est d'ailleurs dans le titre de la loi et qui en constitue la quintescence.
Or la métropole ce n'est ni un choix administratif ni une décision politique. La métropole est une création du marché. Et qui dit création du marché dit régulation et qui dit régulation pose la question de l'Etat. Car pour une fois je suis d'accord avec le projet d'avis : la Région n'aura pas droit à la parole pour tout ce qui concerne la métropole.
L'Etat devra donc -et il est seul à pouvoir le faire- jouer son rôle de gardien des équilibres. Equilibre entre territoires -on en a parlé-, équilibre entre générations, équilibre entre catégories, équilibre entre contraintes du présent et potentialités du futur à construire, équilibre enfin entre les multiples intérêts particuliers contradictoires et l'intérêt général supérieur.
On voit tout de suite que ce dont nous débattons n'est pas une question picardo-picarde ou picardo-nordiste. C'est de la République qu'il s'agit, de notre modèle de société. D'ailleurs tous les libéraux, tous ceux qui pensent que la société n'existe pas et qu'il n'y a que des individus, et cela quelle que soit leur obédience, sont favorables à la loi MAPTAM, quitte à être ensuite gênés aux entournures quand on passe aux choses pratiques.
Faut-il dans ces conditions lâcher la bride à cette métropole qui concentre et concentrera demain -et cela quoi que nous décidions- l'essentiel de la création de richesses? Faut-il la laisser regarder vers le grand large, toute à sa compétition avec Milan, Francfort ou Munich? Ou faut-il l'arrimer solidement au territoire national et accessoirement régional? Poser la question c'est y répondre.
Et il est évidemment faux de prétendre comme le fait le projet d'avis qu'un chef-lieu régional indépendant garantirait un partage équitable et un aménagement équilibré. Car avec la métropole, Lille aurait la notoriété, les contrats, les recettes fiscales, la croissance et les investissements et Amiens-capitale quelques maigres ressources en provenance d'un Etat de moins en moins généreux et la charge grandissante d'une région plus grande avec des problèmes accrus.
C'est certain : la question d'un développement équilibré se pose et concerne non seulement la Picardie mais aussi les zones périphériques du Nord-Pas de Calais. Mais, parce que le déséquilibre provient de la métropole, il faudra la résoudre autrement et cela quelle que soit la capitale. Il faudra des voies de communications propres à désenclaver les territoires les plus éloignés. Il faudra des péréquations et des solidarités. Il faudra une fiscalité adéquate. Une démocratie plus vivace aussi. Et des services publics, y compris dans les zones rurales. Je regrette que notre projet d'avis ne prenne en compte aucune de ces questions.
Toutes ces batailles devront être menées, et la FSU y prendra sa part. Mais faire aujourd'hui du choix d'Amiens une condition sine qua non de tout avenir acceptable, c'est prendre le risque de se trouver bien démuni quand la décision, qui ne fait aucun doute, sera tombée.
Chers collègues, merci de m'avoir écouté. J'aimerais vous avoir convaincu.