Malgré des interventions souvent bien plus critiques que l'avis du CESER lui même, la seconde assemblée régionale a adopté un texte entérinant le Budget Primitif 2015. Parmi les nombreuses inquiétudes on notera: la baisse globale des dépenses et le manque d'ambitions, l'absence de politique volontariste en matière d'illettrisme et le retard prévisible dans l'utilisation des fonds européens... La CGT et la FSU ont voté contre l'avis.
Ci-dessous le texte de l'intervention de la FSU:
Mesdames et messieurs, chers collègues,
L'avis sur lequel nous délibérons aujourd'hui propose "de prendre acte de la poursuite des politiques initiées par la région au cours des années précédentes". C'est bien le moins qu'on puisse faire tant ce budget prolonge les erreurs passées et préfigure vraisemblablement celles à venir, puisqu'aucun bilan sérieux de l'impact réel de ces politiques n'est jamais fait.
Je ne reviendrais pas -ce serait cruel- sur ce que j'ai pu dire et que vous n'avez pas voulu entendre, lors de l'examen du DOB, quant au décrochage de la Picardie, et qui a pourtant été confirmé, quelques jours plus tard par l'INSEE et dans des termes particulièrement édifiants, devant le bureau de notre assemblée.
Vous voulez faire une grande région qui n'existe pas, vers laquelle les évolutions ne tendent pas, qui ne peut donc résulter que d'un projet politique volontariste clair et c'est exactement ce projet qui fait défaut dans la réforme territoriale. "Le jugement sans volonté est aussi inutile que la volonté sans jugement". Notre CESER parvient parfois à cumuler les deux handicaps.
Regardons d'abord, chers collègues, quel est l'impact macroéconomique de ce budget primitif. Les autorisations de programme sont en recul. Les dépenses inscrites en crédits de paiement aussi. Or ce n'est jamais la dépense, quelle qu'elle soit qui crée de l'emploi. Seule la variation de celle-ci a un effet macroéconomique. Et là elle est prévue à la baisse. A moins de supposer un taux de réalisation exceptionnel, bien supérieur à ce qu'il est d'habitude. Or, toutes les réformes quant aux modalités d'intervention de la Région conduisent justement à une moindre maîtrise de ce taux de réalisation.
La variation des dépenses sera donc négative et à ce titre va agir négativement sur l'emploi, quelle que soit par ailleurs l'utilité ou non des dépenses engagées. Ce budget qui se donne comme priorité l'emploi va commencer par le dégrader.
Certes on peut expliquer certains choix. Les dotations de l'Etat sont en baisse. La fiscalité directe et la ficalité indirecte de la région aussi et le gouvernement n'est pas moins coupable que le Conseil Régional. Mais cela ne change rien à l'affaire. L'effet de ce budget va être d'aggraver une conjoncture régionale déjà extraordinairement dégradée. On ne peut donc pas dire, comme le prétend notre avis, que la contraction des dépenses n'impactera pas les politiques conduites. Bien sûr que si. Elles les impactera indirectement au travers du chômage de masse, qui les rendra moins opérantes -ou plus inopérantes, comme on voudra- et qui accentuera les inégalités, qui elles même ralentiront encore un peu plus la croissance, comme l'OCDE vient opportunément de le rappeler.
Tout cela ne donne rien, rien de positif en tout cas, et comme cela ne donne rien, on attend les fonds européens, comme dans les westerns on attend la cavalerie. Mais je doute fort que cela se termine aussi bien qu'au cinéma.
Pour la FSU, c'est donc d'une tout autre politique que la Picardie a besoin.Une politique fondée contre la lutte contre les inégalités sociales et les discriminations, une politique de développement des biens communs créateurs d'externalités positives, une politique de développement des biens collectifs en vue de satisfaire les besoins et d'abord ceux des plus fragiles, une politique qui recherche la confiance des hommes, notamment de ceux qui créent les richesses, et pas celle des marchés, car les marchés n'ont confiance que dans les intérêts de la petite minorité qu'ils représentent et dont ils défendent bec et ongles les privilèges.
Certes une telle politique ne peut se faire exclusivement en région. Mais la région peut donner des signes dans ce sens, en exigeant par exemple des contreparties réelles aux subventions qu'elle accorde aux entreprises, en contribuant à développer par des moyens incitatifs un dialogue social aujourd'hui en berne en Picardie au lieu d'ajouter sa pierre au moins-disant social, en utilisant la Banque Publique d'Investissement comme un réel outil pour pallier aux défaillances du marché (ce qui relève d'ailleurs de sa mission, mais qu'elle oublie trop souvent)... On est loin d'un tel cas de figure et on s'en éloigne même un peu plus à chaque nouveau budget présenté.
J'en arrive maintenant aux politiques sectorielles, dont je n'aborderai que l'aspect formation. A la fois la formation initiale et la formation professionnelle, car l'une ne va pas sans l'autre.
Dans ce domaine la main gauche de l'Etat -la collectivité territoriale- tente déséspérément et depuis des années de corriger les dégats que fait la main droite c'est à dire l'Etat national, tout en faisant semblant de ne se rendre compte de rien. Le différenciel en matière d'illettrisme grandit. Que fait-on? On proposeun dispositif ad hoc sans s'attaquer le moins du monde au flux des illettrés nouveaux qui arrivent. L'échec scolaire se développe. On propose des écoles dela deuxième chance, tout en faisant semblant de croire que le retard se réduit. J'avoue avoir bien aimé l'intervention du Recteur qui voyait dans l'accroissement du nombre d'élèves ayant plus de vingt sur vingt un seigne encourageant.
J'ai été rapide quant au rapport de l'INSEE, je n'insisterai pas non plus sur celui du Cereq quant à la mise en place du soi-disant service public de l'orientation, un rapport très critique qui montre le fossé d'incompréhension qui s'est installé entre d'une part ceux qui élaborent cette politique et d'autre part ceux qui sont chargés de la mettre en oeuvre au quotidien et qui savent bien qu'il ne suffit pas qu'il y ait des secteurs en tension pour que ceux qui cherchent un emploi souhaitent y consacrer leur vie.
Dans ce contexte adéquationniste, présenter l'orientation choisie comme un objectif majeur du service public régional de l'orientation, comme vient de le faire le président de la commission un, est assez savoureux. Mais après tout la foi du charbonnier est encore celle qui craint le moins l'hérésie.
En réalité l'école va mal, quel que soit l'aspect que l'on examine, et l'on ne s'en sortira pas sans en réinterroger le sens. L'école créatrice d'employabilité? Oui, sauf qu'il n'y a pas un emploi pour tout le monde.L'école émancipatrice? Difficile dans une société qui recrée partout des féodalités nouvelles et où le marbre se trouve plus souvent dans les établissements bancaires que dans les établissements d'enseignement. L'école créatrice de solidarité et de lien social? Compliqué, quand la concurrence est partout encouragée : entre rectorats, entre établissements, entre équipes pédagogiques, entre élèves, et avec tous les faux semblants qui vont avec.
Améliorer le climat scolaire. Evidemment. Mais quand l'ascenceur social est en panne, que les risques de mobilité sociale descendante s'accroissent, nos jeunes -et particulièrement ceux d'origine populaire- ont surtout besoin d'une place dans la société, d'ambitions collectives qui les portent et de perspectives un peu moins déprimantes. La multiplication des lieux d'échange et des dispositifs d'écoute, dans une communauté scolaire qui leur semble de moins en moins faite pour eux, peut être utile, mais elle ne remplacera jamais les anticipations positives dont bénéficiaient les générations précédentes et qui font cruellement défaut aujourd'hui.
Pour finir, un mot encore concernant l'apprentissage, encore une fois porté à bout de bras.... Notre avis n'affirme-t-il pas soutenir "la volonté du Conseil Régional de maintenir ses efforts en faveur de l'apprentissage" avec des autorisations d'engagement en hausse malgré des effectifs en baisse et cela pour la troisième année consécutive.
Dans ces conditions, je ne résiste pas au plaisir de vous lire la conclusion d'une étude du Cereq intitulée "L'apprentissage comme voie de réussite à coup sûr : une mise en question à partir de données d'insertion longitudinales". Je cite : "l'apprentissage doit une part de son efficacité à son caractère sélectif; il n'est pas accessible à tous et les profils qui y accèdent le plus souvent sont aussi ceux qui, a priori, rencontreront ensuite peu de difficultés sur le marché du travail." (Cereq, Valérie Hardi et Emmanuel Sulzer, Relief.48, juin 2014).
Ce qui veut dire en langage clair : l'apprentissage choisit ses apprentis en évitant les publics à risques. Il est facile dans ces conditions de prétendre ensuite avoir de bons résultats.
Tout cela montre combien il est nécessaire d'appliquer à l'apprentissage les mêmes exigences qu'aux autres voies de formation, d'examiner de manière concrète -et non en se basant sur des présupposés purement idéologiques- dans quelles conditions il est efficace et pour quels publics et pour quelles formations, et de le réserver à ces publics et à ces formations là.Et je suis sûr que cette démarche -que j'appelle de mes voeux, parce qu'elle est normale car il s'agit quand même de fonds publics- serait pleine de surprises si elle était tentée.
Je pourrais poursuivre la longue litanie des échecs à répétition, dans le domaine de la culture où la Picardie fait du surplace, dans celui de la santé où les indicateurs sont sans appel, celui du logement, où l'INSEE vient, dans un article tout récent, de montrer l'ampleur des besoins en Picardie,dans le domaine de l'innovation dont j'ai parlé au moment du DOB,...
Comme le dit le proverne chinois : "la première fois c'est une erreur; la seconde c'est qu'on le fait exprès".
La FSU votera contre l'avis.