On savait déjà que l'économie n'était pas une science dure, avec un paradigme unique et des conclusions définitives et partagées... mais on ne la savait pas molle à ce point, d'où l'intérêt de la démonstration sans appel du CESER des Hauts de France.
De quoi s'agit-il? Appelé à se prononcer sur le Rapport d'Orientation Budgétaire, il commence par reprendre à son compte -dans une démarche faussement keynésienne- l'affirmation du rapport : du fait de l'alignement de la taxe sur les certificats d'immatriculation, "ce sont près de 100 millions d'€ qui sont injectés dans l'économie régionale, à travers à la fois le pouvoir d'achat des habitants et les marges de manœuvre des entreprises". Le propos est discutable, car ces 100 millions ne viennent pas de nulle part, mais admettons. Les dépenses de la Région stimulent l'économie régionale, car les dépenses des uns sont les revenus des autres.
Là où cela devient curieux, c'est que, pour le CESER du moins, ce mécanisme ne fonctionne que dans un sens. N'oublions pas en effet que dans le même temps, le président BERTRAND annonce sur l'ensemble du mandat une réduction de l'ordre de 500 millions de la dépense de la collectivité territoriale. Certains se sont donc inquiétés : une telle réduction de la dépense ne risquait-elle pas de provoquer un ralentissement économique, car elle induit des revenus en moins pour les acteurs économiques régionaux? Eh bien non. L'assemblée a majoritairement rejeté un amendement dans ce sens.
Pour les Hauts de France, la route à suivre est donc toute trouvée : augmenter les dépenses d'un côté (par exemple les aides aux entreprises), ce qui accentuera la croissance et les réduire ailleurs (par exemple les dépenses sociales), ce qui n'aura aucun effet récessif.... le tout à coût zéro. De telles perspectives méritent au moins le Nobel pour les rapporteurs, non ?
La déclaration du Groupe de Concertation FSU-Solidaires :
Mesdames et messieurs, chers collègues,
Ce qui est intéressant avec le président Bertrand, c'est qu'il explicite les raisonnements économiques qui sous-tendent sa politique. Cela permet d'en mesurer à la fois la légèreté et le côté pernicieux.
Ainsi peut-on lire dans le ROB : "Sur la durée du mandat, du fait de la diminution de la taxe sur les certificats d'immatriculation, ce sont près de 100 M€ qui sont injectés dans l’économie régionale, à travers à la fois le pouvoir d’achat des habitants et les marges de manœuvre des entreprises".
Cette affirmation revient à considérer que, dans le cas du maintien de l'impôt, la collectivité n'aurait fait aucun usage de ces 100 millions qui auraient vraisemblablement disparus dans les sables de la Baie de Somme. Nous savons tous ici qu'il n'en est rien. Ces 100 millions auraient réintégré le circuit économique sous forme de dépenses d'investissement, de prestations sociales, de dépenses de fonctionnement, qui auraient tout autant constitué des revenus pour les habitants et pour les entreprises.
Compte tenu de la financiarisation de l'économie et de l'extrême timidité des entreprises à investir qui en résulte, compte tenu de la propension des hauts revenus à placer plutôt qu'à dépenser, la démarche de Xavier Bertrand revient en réalité à troquer des dépenses collectives certaines contre des dépenses individuelles qui le sont beaucoup moins.
Il faut regretter que notre CESER reprenne intégralement à son compte cette rhétorique de campagne électorale.
Pour nos deux organisations la caractéristique première du ROB c'est son côté récessif, que nous avions déjà dénoncé lors du ROB précédent et qui se confirme aujourd'hui. Ce n'est pas en rajoutant l'austérité régionale à l'austérité nationale que l'on sortira les Hauts de France du marasme ambiant.
La seconde caractéristique c'est l'absence de stratégie. Les orientations qui nous sont proposées se limitent à une politique de désendettement de l'institution régionale, pour soi-disant lui redonner des marges de manœuvre, et sans que l'on nous dise clairement à quoi ces marges doivent servir. La crise actuelle serait donc exclusivement une crise de surendettement ? Personne n'ose aller aussi loin que cela. Sauf peut-être l'IFRAP.
En réalité ce qui intéresse les nordistes et les picards, ce n'est pas l'épargne brute ou nette de l'institution régionale, mais le recul du chômage, de la précarité, une situation enfin décente pour les jeunes, l'amélioration des conditions sanitaires dans la grande région....
De ce point de vue, et c'est la troisième caractéristique, on ne voit aucun lien entre la « promotion du travail », qui serait l'obsession de l'exécutif régional et le rapport d'orientation budgétaire. Former les jeunes n'est utile que si on a des emplois à leur fournir. Aider les entreprises ne les fait investir que si elles ont les commandes correspondantes.
Alors on nous dit -le CESER nous dit- il n'est pas possible de faire autrement à cause de l'endettement, et l'on évoque inévitablement la capacité de désendettement.
Mesdames et messieurs,
on comprend parfaitement que la finance souhaite un retour sur investissement rapide. Mais il n'est pas irrationnel d'emprunter sur vingt ans quand on réalise des investissements dont la durée de vie est de trente, comme c'est par exemple le cas en ce qui concerne l'acquisition de matériel ferroviaire. Les régions font des investissements longs et doivent pouvoir les financer par des emprunts à long terme.
Tout cela montre en réalité l'ineptie des politiques menées depuis des années sous la houlette de l'Union Européenne et qui ont conduit les peuples à se dessaisir des leviers budgétaires et monétaires, qui manquent cruellement aujourd'hui.
Je finirai en citant celui qui fut mon professeur : « Ce qu'il faut d'empathie et de compassion pour conduire une bonne politique semble avoir laissé la place à la seule volonté de satisfaire aux contraintes d'une pseudo-vertu ». Sans doute pensait-il à notre CESER.